Le voir ainsi ciller n'aurait pas pu plus me satisfaire. Néanmoins il me surpris par la conclusion qu'il y apporta.
« Vous êtes maligne »
Les hommes reconnaissant l'intelligence féminine étaient si rares que cette seule remarque me fit particulièrement plaisir. Je ne pus empêcher une légère rougeur s'installer sur mes pomettes.

« Je vous remercie. » Murmurais-je d'un ton à peine audible.

Il était si proche... et cette main ferme, puissante dans laquelle la mienne paraissait si fragile, si fine si je me donnais la peine de détourner mes yeux pour la regarder. Pourtant, la caresse que me prodigait cette main était si douce, presque tendre. Ce pouce allant et revenant négligeamment sur ma peau nue m'emplissait d'une chaleur jusque là inconnue mais qui n'était pas désagréable, bien au contraire. Mon regard quant à lui ne se décrochait pas du sien, océan scintillant, empli d'une flamme, une flamme qui pouvait être dangereuse tout en sentant que je n'avais pas à la craindre. Sentiment étrange que celui-ci, je ne savais rien de cet homme mais j'avais envie d'être proche de lui. Mais que se passe-t-il ?

Sa voix me ramena soudainement à la réalité. « Et je vois que vous n'avez pas peur de vous salir. C'est rare chez les dames de nos jours.» Je réalisais soudain pleinement que voici quelques instants pendant lesquels nous étions restés ainsi. En d'autres circonstances, j'aurais rapidement retire ma main comme si celle-ci venait d'être brûlée et pris mes distances. En temps normal mais pas ici. Je comprenais que ses paroles n'étaient rien d'autre qu'une réflexion rhétorique prononcée à haute voix. Appréciait-il le contact? Ressentait-il présentement la même chose que moi? J'aurais voulu répondre que je préférais tenir les raines de ma monture à main nue pour mieux ressentir les mouvements de mon cheval et le diriger beaucoup plus précisément que ce ne serait le cas avec un intermédiaire textile mais cela avait-il une importance ?

Lorsqu'il me sourit chaleureusement je vis le regard froid et dur de l'inconnu s'illuminer. Je vis en lui un homme que j'aurais pu ne pas soupçonner d'exister sans cela. Un homme bon et agréable. Cela me toucha mais trop chamboulée par tout le reste, je ne fis que l'écouter se présenter et le regarder s'incliner sur cette main qui lui avait été définitivement abandonnée pour y déposer un chaste baiser.

« C'est un privilège pour moi de faire votre rencontre. D'ailleurs, vous ajouterez beaucoup à mon plaisir si vous vouliez bien m'apprendre qui est la redoutable cavalière à qui j'ai eu l'impertinence de me frotter ? »

Reprenant tout à fait conscience, je me sentis soudainement horrifiée par l'inconvenance de la situation et honteuse de mon laisser aller. J'étais venue à Londres pour chaperonner ma soeur, certaine que mon état de santé fragile aux yeux de tous me garantirait à lui seul de ne pas être convoitée par la gente masculine et d'évoluer dans la société dans une parfaite indifférence. Et j'étais là, dans un parc en compagnie d'un homme inconnu et proche de lui de façon parfaitement inconvenante. Si une connaissance venait à assister à cette scène, ce monsieur serait sommé de m'épouser et mes projets, ma liberté serait perdue à jamais.

Réalisant cela, je fus comme piquée au vif. Dans un geste peut-être un peu brusque et rapide, je retirais vivement ma main. Peut-être se dirait-il que je suis une servante qui a pris peur en entendant qu'elle avait à faire avec un gentleman ou peut-être penserait-il encore bien d'autres choses. Je laissais cela à ses pensées.

« C'est inconcevable, je ne peux pas. » Répondis-je en me remettant en scelle avec une rapidité ne permettant ni que l'on me retienne, ni que l'on m'empêche d'agir.

- Je suis désolée. lui soufflais-je du haut de ma monture avant de donner un coup de talon pour lancer mon cheval.

Je m'éloignais à vive allure de cette situation, de cet homme aux yeux d'azurs, du danger que lui mais surtout l'émoi dans lequel il m'avait plongée, me faisait courir. M'éloignais-je vraiment ou fuyais-je avec lâcheté?

Maxence sentit immédiatement que quelque chose n'allait plus. La demoiselle s'était braquée, et il était incapable de dire si c'était dû à une de ses paroles. Il la regarda blêmir, impuissant, confus. Il voulut se rattraper mais elle ne lui en laissa pas l'occasion. Elle lui reprit sa main avec un empressement qui le laissa sans voix. « C'est inconcevable, je ne peux pas. » dit-elle. Maxence la découvrit angoissée et il n'était pas certain de comprendre sa phrase. « Vous ne pouvez pas quoi ? Essaya t-il quand-même, Attendez, mais… » Il la voyait remonter en selle, mais il ne fit rien pour la retenir. Sa détermination surpassait de loin la sienne, et lui était hébété tout à fait. « Je suis désolée (...) ». 

En un rien de temps elle avait disparu, laissant derrière un homme abasourdi et enclin à se poser toutes les questions inimaginables sur la nature féminine. À la vérité, c'était bien la première fois qu'il était victime d'un tel coup de théâtre. Et le plus tragique dans l'histoire, pensa-t-il, c'est qu'il ne l'avait pas vu venir. Comment pouvait-on passer du rire à la peur aussi promptement ? Il soupira. L'aventure était décidément une coquine furieuse. Machinalement son regard se posa sur sa main. Il trouva étrange qu'elle fut si… seule. Son cheval, derrière, hennit et brusquement cela le rappela à la réalité. Dans cette réalité, malheureusement, il avait un mal de crâne naissant et ses nerfs optiques le piquaient de l'intérieur. Il n'allait pas tarder à reprendre la route lui aussi, mais il se jura avant, qu'il n'en resterait pas là… 

END.